Maman cherche des nouvelles

[Message passé sous forme d'annonce dans le courrier des lecteurs du journal n°245 (17 janv. 1941) de l'association "Friendship between Argentina and UK people" ainsi que sur le tableau d'affichage du local de l'association au 115 city road, Finsbury, London]

London, Jan. 15, 1941
Bonjour,

Je suis la maman d'un petit Henri (23 ans quand même le petit !) qui est employé depuis 14 mois comme assistant du responsable commercial de la société d'import/export HULP (Hall Unitees Lof Products) basée à Buenos Aires.
Cette société comme une partie de son personnel est anglaise et je me demandais s'il y avait un risque pour eux maintenant que l'Argentine semble expressément devenir l'ennemie de notre Empire.

Je suis très inquiète car mon fils est parti dans les confins du pays argentin pour -soit disant- prospecter un nouveau secteur commercial.
Je n'ai pas eu de ses nouvelles depuis 12 jours alors qu'il m'écrit au moins une fois par semaine, sans compter les fois où il m'envoie un télégramme, à l'occasion d'un évènement. Les clients me tiennent bien au courant des actualités (car je suis serveuse au pub "Restore hope" de Greenford, tout près de Londres, et nous avons même un téléphone tout neuf) mais ils m'inquiètent aussi beaucoup par rapport à une situation diplomatique tendue avec les autorités argentines.

Mais je m'égare quelque peu. Vous qui semblez être au contact direct des protagonistes de l'affaire qui s'annonce, pouvez-vous me donner des informations afin de rassurer une bonne mère qui s'inquiète pour son fils ?
Merci d'avance à tous ceux qui pourront m'aider.
Ah oui, mon fils s'appelle Henri Patew-Leejoor et il habite au 3 calle Pico, 1014 Buenos Aires.

Je compte sur votre sollicitude !

Mary Patew-Leejoor, "Restore hope" pub, Greenford.

Madame,

La situation actuelle incitant à la discrétion, vous me permettrez l'indélicatesse de ne pas vous donner ma véritable identité.

Aussi, m'appellerez-vous "Caïman" !

Sachez que votre fils est en sécurité sur le territoire Argentin, protégé qu'il est par les conventions internationales auxquelles notre gouvernement a souscrit.

Toutefois, une perquisition menée au 3 calle Pico montre en sa possession divers matériels et documents peu en rapport avec l'activité qu'il est censé exercer.

Au risque d'inquiéter une mère aimante, je suis en mesure de vous révéler que certains de mes collègues des "Opérations spéciales" sont plus expéditifs que moi en leurs méthodes.
Je pense que vous me comprenez à demi-mots.

Aussi, je vous invite instamment à me préciser le lieu du "Nouveau secteur commercial dans les confins du pays Argentin" où mon équipe et moi-même pourront retrouver votre fils.

Je précise que je suis officiellement habilité à pouvoir éviter l'internement à votre cher Henri (s'il coopère, cela va de soi) et l'exfiltrer vers un pays neutre à partir duquel il pourra certainement rejoindre Finsbury.

Je compte sur votre collaboration active, chère Madame, dans l'intérêt d'Henri et du vôtre.

Respectueusement,

"Caïman"

[Lettre transmise clandestinement par l'intermédiaire d'un "ami" de l'association "Amitié britannico-argentine", dissoute officiellement depuis le 13 janvier 1941 à l'instigation des autorités anglaises... On prétend que le courrier parvient encore en Argentine à condition de réussir à l'envoyer dans un pays non impliqué dans le conflit en cours pour qu'il soit distribué quasi-normalement.]

Cher M. Caïman,
C'est avec joie que j'ai appris les nouvelles rassurantes dont vous m'avez faites part. Je me ferai l'écho des information que mon fils donnera dès que possible afin que vous puissiez le mettre en sécurité et lui éviter ainsi une prise de risques inutiles.
J'aurais d'ailleurs dû préciser que c'est vers la grande ville du sud du pays qu'il se rendait, et qu'il pensait même faire du tourisme "au bout du monde" à Chouïa notamment.
Sachez que j'ai dû braver l'interdit que m'ont intimé les forces de sécurité de mon propre pays pour vous écrire. A écouter le lieutenant en imperméable gris qui est venu me trouver, votre touchante sollicitude n'aurait droit ni à une quelconque reconnaissance ni à aucune suite. "Question de sécurité nationale" qu'il dit. Pfff... On voit bien qu'il n'a aucune famille dans une zone de guerre !
Toutefois, vous semblez indiquer que certains soupçons pèseraient sur mon fils et que certains de vos compatriotes mal intentionnés pourraient lui causer du tort.
Sachez qu'à part fumer de temps en temps un cigare, mon fils n'a ni vice ni occupations malsaines. Je me porte garante non seulement de sa bonne éducation mais aussi de son honnête comportement. Je vous saurai donc gré, dès que vous serez entrés en contact l'un avec l'autre, de bien vouloir lui expliquer la nécessité de quitter le pays dans lequel sa présence pourrait être mal perçue.

Recevez, monsieur Caïman, les respectueuses salutations d'une mère qui trouve en vous un véritable réconfort face à l'angoissante attente qu'elle vit au quotidien.
Merci pour votre rôle salvateur, j'espère avoir de vos nouvelles promptement.

Mary Patew-Leejoor

PS: Je n'ai pas bien compris votre adresse officielle, merci d'éclaircir ma lanterne. Qu'est-ce que la "Seguridad militare", un édifice militaire dans Buenos Aires ?